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De la force (et) de l’amour

C’est devenu facile de lui parler de lui. Quand les questions viennent, la parole ne se fige plus dans un rictus compliqué, le chaos ne se glisse plus comme si un combat sans merci allait commencer. C’est fluide, pas toujours simple mais fluide. C’est par vague, des moments il parle beaucoup de lui, d’autres il n’y pense pas ou s’il y pense il n’en parle pas. Peut-être que c’est clair à ce moment-là.

Il sait qu’il peut m’en parler. J’ai toujours souhaité être ouverte là-dessus. Même  si ça m’a longtemps couté, surtout au début, même si c’était compliqué de devoir faire semblant à l’évocation d’un prénom, à la vue d’une photo. Même si le sujet était devenu presque tabou entre tous les protagonistes de cette histoire « sordide ». Je voulais qu’il se sente libre d’en parler, comme de ne pas en parler, qu’il ait accès à son espace identitaire, au-delà de ce que j’avais vécu en tant que femme.

Mettre un visage sur un prénom. Savoir d’où il vient. L’histoire il la sait, depuis le début. Elle n’a jamais été édulcorée, juste racontée à hauteur d’enfant, avec les mots qui aujourd’hui ont un sens pour lui. Il sait ce qu’il doit savoir, rien de plus, rien de moins.

Je me rends compte toutefois que nous n’avons pas tous évolué de la même façon sur ce sujet « sensible ». Quand il évoque son père, les mots et les regards ne disent pas la même chose. Je me demande s’il le sent, s’il remarque cette moue, ce petit rien, mélange de peur et de colère, ce clignement d’œil presque insignifiant,  qui me frappe pourtant toujours en plein cœur, comme s’il restait des morceaux d’humanité blessés en chacun d’eux, comme si la rage n’attendait qu’un mot pour sortir et se libérer de tout ce qui pèse comme un poids mort. Certains gardent le silence. D’autres sursautent à la moindre pensée de ce qui pourrait arriver si. D’autres se font des scénarios sur l’avenir, mon avenir, le sien. Tout le monde essaie de se rassurer comme il peut avec ce qu’il a entre les mains, peu de choses au final, je finis par être discrète, par en dire le moins possible pour apaiser les cœurs et les esprits, pour que les mots ne soient plus aussi violents qu’ils le furent, pour qu’ils ne m’atteignent plus dans le bonheur de l’instant présent.

C’est devenu facile de lui parler de lui. J’ai fait mon deuil. J’ai pardonné ce qu’il y avait à pardonner. Les autres, un peu ou pas. Ils sont de ceux qui pensent que tout ne se pardonne pas. Ils préfèrent vivre avec ce poids sur le cœur, comme une marque de ce qui fut, comme une blessure qui ne peut totalement guérir. C’est peut-être une question de ligne de départ ou encore une façon d’envisager le pire, pour ne pas être pris au dépourvu si le pire se manifeste. Peut-être que la route était plus facile pour moi, je l’avais lui, ce petit être à protéger, à aimer. Peut-être qu’il m’a donné l’envie de me dépasser, de dépasser ce qui me tirait vers le bas. Il a été ma lumière dans les heures creuses, le soleil auquel je me suis raccrochée bien des fois pour continuer. Ou c’est peut-être un choix, le choix de la vie, d’une nouvelle page à écrire, plus vraie.

Je souhaite être juste avec le passé, comme le présent. Je souhaite être juste avec l’histoire, son histoire. Pour qu’il puisse un jour faire ses choix, en conscience. Si pour certains le risque est grand, l’incertitude omniprésente, je sais que ma peur s’est transmutée en force. Et que cette force, couplée à l’amour, personne ne peut rien contre.

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J'ai l'âme poète...

26 thoughts on “De la force (et) de l’amour

  1. Il faut beaucoup de force pour rester objectif face aux gens qui nous ont blessé. Si les démoniser est souvent le chemin “naturel”, ça a aussi pour effet collatéral d’amener les enfants à les idéaliser, surtout quand ils arrivent à l’adolescence. On voit un peu le même phénomène chez les enfants adoptés. A défaut d’avoir toute l’information, ils vont s’imaginer un scénario qui fait moins mal, qui les positionne dans un rôle où ils n’ont pas été rejetés, ils vont même se faire les défenseurs de l’image de l’autre qu’ils se sont construite. Dans un monde idéal, on souhaite qu’il ait une vision réaliste de ce qui s’est passé, qu’il sache qu’il avait des bons côtés, mais qu’il a aussi fait très mal à maman et que cela c’est inacceptable.

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    1. C’est un cheminement délicat mais constructif au final. Je pense que tous les enfants mériteraient ça, cette franchise, cette honnêteté, la vérité sans les tourments de l’histoire de l’homme et de la femme à l’origine de la famille et de l'”échec”. Parce que nos choix impactent leurs vies, même quand on essaye de faire au mieux.

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  2. Quel texte Marie! J’espère que ton fils y aura accès plus tard, car il explique magnifiquement bien ton parcours et on état d’esprit actuel. Tes dilemmes de femme, ton pardon. C’est très beau. Tu deviens de plus en plus forte, bravo.

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    1. Mille merci ma belle. Je lui laisse tout ça sur un blog privé, tous les mots, les maux, tout le cheminement, les doutes, les joies, les moments simples et les plus compliqués. On ne connait jamais vraiment entièrement notre histoire.
      Ce qui a été le plus difficile c’est de faire la part entre mon traumatisme de femme et ma place de parent. Petit à petit on avance ma belle.
      Je t’embrasse.

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  3. Je crois qu’il saura faire la différence et ne pas l’empêcher den parler puisque tu as reussi a lexorciser de ta vie c’est bien …il arrive un jour ou l’on peut enfin nous en parler en toute indifférence finalement… tu en as fait un bien beau chemin Marie!

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    1. Oui Catherine. Faire ce chemin a été bénéfique. Pour moi, pour lui. Car pendant longtemps il y a eu beaucoup de colère en moi et de colère en lui aussi. Ca n’allait pas. Il fallait que ça change.
      Grosses bises et bon weekend.

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  4. Je pense que tu as une attitude juste avec lui : lui dire la vérité qu’il peut entendre, du haut de son age. Ca n’a évidemment pas dû être facile tous les jours, mais c’était la meilleure attitude pour vous deux, et pour lui. Tu rempli ton rôle de mère …

    Après, pour les autres. Déjà, je ne sais pas de “quels autres” exactement tu parles. Mais il faut aussi relativiser leur attitude et leur rancœur. Une fois, ma mère m’a dit une chose qui m’a presque choquée sur le moment : “tu sais, ce bébé, il n’est “rien” pour moi, juste un petit-enfant, toi, tu es ma fille et c’est toi qui compte pour moi”. Je ne sais plus l’occasion, je ne sais même plus si Batgirl était déjà née ou pas tout-à-fait … J’ai trouvé ça dur, sur le moment parce-que ce bébé, justement, pour moi, il était tout et c’était sa petite-fille. Mais avec le recul, la maternité avançant aussi, je comprends mieux ce qu’elle voulait dire.
    Tout ça pour te dire qu’il faut les comprendre : il t’a fait du mal à toi, d’abord.

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    1. Merci ma belle. Dire les choses c’est important. Les secrets et les non-dits ça n’est pas ma tasse de thé!
      Les autres ce sont mes proches, mes parents notamment. Mais comme tu le dis pour eux c’est le mal fait à moi, à Loulou (et la crainte que ça ne soit pas fini – ça c’est la vision optimiste de ma mère et de ma grand-mère!). Toutefois je pensais qu’une fois qu’ils me verraient bien dans ma vie, ils laisseraient couler. Parce que au final c’est du passé et la force que j’ai aujourd’hui, c’est tout ce qui compte.
      J’avoue que ce que ta mère t’a dit ça m’aurait secouée aussi pas mal, mais encore une fois chacun sa perspective en effet.
      Mill merci. Grosses bises

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  5. Tu as raison Marie, Il est nécessaire de parler vrai, sur tout ce qui le concerne, en particulier sur ses ascendants, son entourage familial et sur la vie en général – il n’y a pas d’âge pour cela : cette règle est vraie dès que la question se pose. Comme tu le dis si bien ton fils a besoin de savoir
    qui est réellement son père, ses défauts mais aussi ses qualités… C’est seulement face à une image vraie, quelqu’elle soit que l’enfant peut se situer, l’accepter, la rejeter, s’y identifier, ou s’identifier…

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    1. Un enfant a besoin de savoir. Alors quand c’est possible autant lui en parler Sabine. Et puis les questions arrivent au compte goutte, parfois elles sont difficiles, j’essaye d’y répondre en prenant de la distance.

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  6. Je suis admirative, comme je te l’ai dit. Il a beaucoup de chance, ton petit bonhomme, d’avoir une maman aussi intelligente qui lui permet de grandir en ayant accès à toutes ses composantes identitaires.

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    1. C’est tout ce que je peux lui offrir pour le moment Marie. Il y a toute une partie de sa famille qu’il ne connait pas et qu’il ne peut connaitre pour le moment. Je dis merci alors à ce voyage et aux photos qui permettent de parler d’une histoire qu’il sera à même de vouloir découvrir (ou pas) plus tard.
      Les racines c’est important pour grandir.

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  7. Tu fais le bon choix Marie 🙂 La sincérité , les enfants y sont sensibles et ensuite ils apprennent très vite à trancher ! J’ai toujours voulu que Junior respecte son père mais très jeune il a vite compris à quel individu il avait affaire. Grosses bises

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    1. Tout à fait Paulette. Une fois qu’on a les cartes en main, on peut comprendre certains évènements, faits et se faire son idée.
      Le tout est de laisser une porte ouverte, tout en protégeant nos enfants.
      Grosses bises et merci.

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  8. Il a de la chance ton fils d’avoir comme maman une personne qui réussit à faire la part des choses et d’aller outre ses blessures de femme pour être la plus transparente avec lui sur son histoire à lui

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    1. J’ai fais beaucoup de travail sur moi pour en arriver là Estelle. Pour moi c’est une évidence.

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  9. Quel texte magnifique. Vous avez une plume comme j’en croise rarement dans l’univers du blog. Et parler de tout ça avec autant d’élégance et de justesse … une vraie claque. Merci d’avoir partagé cela.

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    1. Mille merci pour ce charmant commentaire qui me va droit au coeur.
      C’est toujours un plaisir de partager, encore plus quand cela touche particulièrement mes lecteurs.
      Bienvenue chez moi!

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