Si il y a bien un truc qui me met hors de moi, ce sont ces phrases toutes faites qui sortent de la bouche de personnes à qui tu n’as rien demandé la plupart du temps mais qui se sentent obligées de rebondir sur les maux que tu poses, déposes, en pensant par-dessus le marché qu’elles te font une fleur.
Tu les connais forcément toi aussi les « ce n’est pas si grave », « demain ça ira mieux », « il faut rester positif », « il y a pire que toi », « ça va passer », « arrête de te plaindre, de te lamenter », « il faut passer à autre chose », «tu as plein de personnes autour de toi qui te soutiennent et t’aiment alors un peu de jus », « mais bouge-toi bordel », « t’attends quoi au juste ? », « c’est un mal pour un bien », « prends du recul », « à toute chose malheur est bon », « c’est pas la mer à boire », « ça sert à quoi de se laisser aller comme ça ».
A force de toujours insister sur le positif, voilà ce que ça donne parfois (Je vais grossir le trait, parce qu’il existe sur cette terre des personnes qui, soit manquent cruellement de bienveillance, soit n’en ont rien à foutre des autres, ou s’y intéressent pour la forme – certains de ces exemples sont vrais.
C’est aller dire à un couple qui vient de se séparer « heureusement vous n’aviez pas d’enfant »
C’est aller dire à une femme qui a fait une fausse couche « au moins tu n’as pas eu à accoucher d’un bébé mort-né »
C’est aller dire à une famille qui vit dans un appartement humide et à la limite des normes d’hygiène et de sécurité « regarde les migrants qui vivent dans des tentes, au moins toi tu as un toit sur la tête ».
C’est dire à un père qui vient de perdre son enfant de 17 ans dans un accident de voiture « au moins tu as pu en profiter jusqu’à cet âge, d’autres n’ont pas cette chance »
Mais bien sûr, nous n’avons pas tous les mêmes chances. Nous ne sommes pas tous nés du bon côté de la barrière ni dans une famille aimante et attentive. Nous ne sommes pas tous égaux devant la vie. Il y a toujours pire, ici et ailleurs. Sincèrement le fait de le savoir ne change pas le quotidien. Dans l’absolu, c’est merveilleux – nous ne sommes pas tous des sages. Dans la réalité, c’est un coup supplémentaire porté à notre moral. Notre souffrance n’est pas prise en contact et c’est encore plus douloureux.
Toutes les personnes ou presque rebondissent un jour ou l’autre. D’ailleurs toutes les personnes qui mangent, se lèvent le matin,, s’occupent de leurs enfants, vont bosser, se font aider, toutes ces personnes ont une petite graine de foi au fond d’eux, une minuscule voix qui leur dit que ça va aller, qu’elles vont s’en sortir. Sinon, ça fait longtemps qu’elles auraient plié bagage.
La vie ce n’est pas toujours le monde des Bisounours. Parfois, c’est aussi joli qu’un melting-pot des couleurs de l’arc en ciel et parfois c’est gris, marron, noir, c’est un pas en avant et une grosse bourrasque de vent qui nous fout par terre, qui nous terrasse, qui nous plonge au fond de la piscine. Parfois on a même envie d’y rester au fond de la piscine, le temps de reprendre son souffle, le temps d’être au plus mal, le temps de ne plus savoir si ça vaut vraiment le coup d’avancer, le temps de pleurer tout son saoul, de dire qu’on n’en peut plus, d’être en colère et d’en vouloir à la terre entière. On sait que ça ne fait pas avancer le schmilblick. Mais à cet instant précis, on s’en balance, on a juste envie de cuver notre chagrin et de savoir qu’on n’est pas seul.
Alors bien sûr être positif c’est génial, c’est même un bon tremplin pour dépasser le passé et ses fantômes. Ce n’est pas possible tout le temps. Et ce n’est pas qu’une question de volonté. Il y a plein de gens positifs qui se voilent la face, qui avancent en essayant de se persuader que tout va bien, que tout est parfait et beau, que la vie est un long fleuve tranquille. Et qui se prennent les pieds dans le tapis. Testé et approuvé.
Le positivisme coute que coute me donne la nausée (comme tous ces romans feel-good qui remplissent les devantures des librairies). Les deuils de la vie, quel qu’ils soient prennent du temps. A force de vouloir que tout aille vite, que les gens qui nous entourent retrouvent le sourire top chrono en main, on oublie l’essentiel, que chacun va à son rythme, qu’il n’y a pas de règle en la matière.
Demandez à n’importe quelle personne qui souffre ce qu’elle attend et je vous fiche mon billet qu’elle dira une présence, une oreille attentive, un soutien. Parce que c’est ce dont elle a besoin aujourd’hui, alors qu’elle est au fond du gouffre, qu’elle espère et que ça ne marche pas, que les teintes de sa vie sont toujours mornes, tristes, froides. Arrêtez de la gaver de phrases répétées des centaines de fois, arrêtez de lui parler de positivisme, parlez-lui avec votre cœur et non avec la cervelle atrophiée de la moitié de la population. Le jour où elle se sentira ressourcée, à nouveau armée pour faire face à tout ce qui la dépasse, le jour où elle vous dira qu’elle a besoin de vous pour refaire surface, oubliez les heures noires et foncez avec elle vers la lumière au bout du tunnel !